Depuis quelques années, la culture numérique s’implante timidement au Burundi. Les modalités de sa transmission, les enjeux qu’elle soulève avec notre invité Allan Stockman RUGANO. Programmeur, consultant analyste des données, fondateur d’une entreprise de consultance en IT (Ubuviz) et d’une microfinance digitale (Ihela), RUGANO livre sa lecture de la culture numérique au Burundi en vrai passionné.
Qu’est-ce que la culture numérique?
C’est la compréhension de l’environnement numérique dans lequel nous vivons au 21ème siècle et ses répercussions sur notre vie quotidienne privée et professionnelle. La culture numérique c’est de savoir par exemple manier tous les appareils numériques basiques du quotidien, la possibilité de penser directement à une solution numérique aux problèmes quotidiens. A titre d’illustration, un taxi que l’on appelle par application téléphonique est plus efficace car il a plus d’atouts que le taxi classique. Penser que les entreprises ont intérêt à avoir une présence sur le web, que les clients vont chercher en premier lieu les informations sur le web au lieu de venir les demander au bureau de l’entreprise. Le client gagne ici en termes de temps et de coût.
Peut-on parler de véritable culture numérique au Burundi?
Il y a une culture urbaine numérique au Burundi mais je ne suis pas assez outillé pour juger à quel degré elle est présente. Cependant, Si j’essaie de voir dans notre vie quotidienne, je peux dire que nous n’avons pas beaucoup de culture numérique car nous n’avons pas un accès facile aux services de première nécessité. De plus, on ne nous inculque pas dès le bas âge l’aspect numérique de la société actuelle à travers l’enseignement classique. Peu de gens savent qu’avec l’internet, nous pouvons avoir un bon boulot et travailler à distance partout dans le monde. Beaucoup de services ne sont disponibles que lorsqu’on va les acquérir en personne et même ceux qui sont disponibles numériquement ne sont pas utilisées de façon convenable. En 2018, lorsque je devais payer certains frais de l’état civil dans ma commune, j’ai trouvé que je pouvais le faire directement via LumiCash. Je n’y aurais jamais pensé. Jusqu’à présent, très peu de gens savent que ce service est disponible car il est peu utilisé par manque de culture numérique. Les gens préfèrent se déplacer physiquement pour payer un certificat au lieu de le faire à distance. Même les « instruits» ne l’encouragent pas. En revanche, le secteur privé est en train de se transformer petit à petit à travers la digitalisation des services et c’est l’une des avancées majeures de ces dernières années.
Allan Stockman RUGANO ©DR
Quelles sont les grandes entraves au changement ?
La plus grande entrave est que nous sommes une société très conservatrice. Les changements apportés par le numérique peinent à pénétrer dans la société. Le dernier rapport de la Banque Mondiale sur l’économie numérique au Burundi en dit long. Il indique que la disponibilité et la qualité de la formation locale couvrant les compétences numériques plus avancées et hautement spécialisées sont faibles. Cela donne lieu à un faible vivier de talents numériques. Par ailleurs, ce rapport relève que le domaine des technologies de l’information et de communication souffre du manque d’enseignants qualifiés, d’équipement et d’accès à l’électricité dans les écoles. Il épingle aussi l’absence de données et de connaissances sur les niveaux de compétences numériques et les priorités des marchés du travail. Les entreprises hésitent à digitaliser rapidement leurs services vu que c’est un investissement qui doit s’accompagner avec une clientèle qui sache utiliser les services numériques. Cette clientèle est encore limitée. Peu d’entreprises offrent des services sur leurs sites webs car elles savent que la première place vers laquelle nous nous tournerons pour leur demander des informations n’est pas en ligne, mais plutôt vers les bureaux ou par le bouche à oreille.
Quelles sont les conditions pour booster la culture numérique?
En me basant sur mon observation ambiante, je peux affirmer que la disponibilité de l’énergie électrique à suffisance reste un des prérequis. L’implication gouvernementale aussi est primordiale car seul le gouvernement peut investir dans la tâche colossale d’éduquer les générations futures pour une bonne acquisition des compétences numériques. Le Burundi a établi plusieurs objectifs en cette matière dans le cadre de la Politique nationale de développement des TIC. Il faudrait aussi que nous ayons une masse de burundais qui soient prêts à consommer les services numériques. Ainsi, les entreprises locales pourront développer des services boostant notre culture numérique. C’est-à- dire faire correspondre l’offre et la demande des compétences numériques.
Arnaud Igor GIRITEKA