Buja Sans Tabou 2020 : la leçon de théâtre d’Etienne MINOUNGOU

Buja Sans Tabou 2020 : la leçon de théâtre d’Etienne MINOUNGOU

Ça y est, le festival Buja Sans Tabou a baissé le rideau, après une semaine d’histoire, de théâtre et d’émotion. L’occasion pour moi de revenir sur une rencontre marquante. Celle d’une pièce mais aussi celle d’un homme. « M’appelle Mohamed Ali », a marqué mon esprit par sa profondeur et la profondeur de l’homme qui incarne à lui seul cette pièce. C’est une vraie leçon de vie mais également une leçon de théâtre. Car si la pièce est le reflet de la vie d’Etienne MINOUNGOU, elle donne de la matière pour tout comédien qui aspire à la grandeur. Et même si le sujet parait presque révolu pour les uns, il ne reste pas moins l’expression d’une plaie que le théâtre africain veut aujourd’hui guérir.

 

Boxer avec les mots

A moins de l’avoir déjà vu, on s’attend à voir l’histoire  de la légende Mohamed Ali raconté par un acteur. Et l’on se rend compte très vite, dès les premières phrases du texte écrit par Dieudonné NIANGOUNA, que la pièce est plus profonde qu’une simple histoire. « M’appelle Mohamed Ali » est en fait un cri de guerre, un appel à la lutte qui puise son essence au plus profond de l’âme d’un être qui, envers et contre tous décide, de s’affirmer. C’est le cri d’un cœur qui, après avoir essuyé brimade et humiliation, fait le choix de donner un sens à son existence.  Non pas en suppliant, mais en luttant. Un combat de boxe à mots serrés face à un adversaire aux allures de titan dont les coups peuvent assommer un taureau. Un adversaire face à qui il encaisse les coups sans broncher et à qui il rendra les coups, jusqu’à le faire tomber.

Rendant un brillant hommage à l’état d’esprit de Cassius Clay alias « Mohamed Ali », par son côté provocateur que par la poésie de ses propos qui, aussi violents qu’ils puissent être, ont une forme de beauté les rendant attrayant pour l’oreille qui les écoute, la pièce est le reflet du combat d’Etienne MINOUNNGOU. Comme Mohamed Ali, il a dû lutter, non pas pour gagner sa place mais pour affirmer sa liberté de pratiquer son art. Un remake du légendaire « Rumble in The Jungle » qui contre toute attente devra annoncer le théâtre africain vainqueur de ses détracteurs.

Un combat qu’Etienne MINOUNGOU partage avec l’ensemble du théâtre africain qui doit lutter au quotidien contre une certaine catégorie de personnes qui voudraient, encore aujourd’hui, lui dire quoi faire et comment le faire. « C’est le drame de ce que l’on veut faire du théâtre africain » dit-il dans la pièce. Ce discours est-il encore d’actualité ? A vous d’y répondre.

 

Jouer avec son cœur

Si « M’appelle Mohamed Ali » est une magnifique pièce, c’est aussi grâce à l’artiste qui la joue. A  51 ans, Etienne MINOUNGOU est une référence dans le monde du théâtre en Afrique. Pour l’amateur de théâtre que je suis, je vivais un moment unique. Il faut dire que j’avais devant moi l’une des personnes qui m’ont fait aimer le théâtre et le cinéma africain. Je me souviens encore des épisodes de la série « Kadi Jolie » que je regardais dans mon adolescence. J’avais devant moi, non seulement l’acteur, mais aussi la pièce que je rêvais de voir depuis 5 ans.

Sans vouloir m’étaler sur son parcours plus qu’honorable, le comédien aura marqué mon esprit mais également celui de nombreux comédiens présent par son jeu d’acteur. Lorsqu’on le regarde jouer, on a du mal à dissocier l’acteur du personnage. Sa capacité de faire corps avec la pièce rend l’expérience encore plus vivante. Tout au long de la pièce, il fait l’aller-retour entre le personnage et sa propre personne. Et l’on s’en rend compte à peine. Le jeu est subtil, entrainant. Sur scène, il ne joue pas, il vit. C’est peut-être parce que la pièce est à l’image de sa vie, de son vécu.

Comment faites-vous ? Lui demandais-je. « C’est avant tout le travail. Vous savez, c’est comme la boxe. Vous ne pouvez pas être bon sans la pratique. Il faut pratiquer, encore et encore pour réussir à véritablement incarner un personnage. Avec le temps, on apprend à dépasser le simple fait de jouer. C’est un moment de vie. On s’ouvre au public et c’est ça qui est beau », me dit-il.

Pour les comédiens burundais présents, c’était une véritable leçon de théâtre à ciel ouvert. Admiratif devant le savoir-faire d’un comédien hors du commun.

Au final, après avoir vu une aussi belle performance, on ne peut que souhaiter d’avoir dans un futur proche des acteurs burundais de la même trempe qu’Etienne MINOUNGOU

 

Moïse MAZYAMBO