Femmes entrepreneures : Ir Aurore MUGISHA innove en construisant des maisons avec la brique de terre compressée

Femmes entrepreneures : Ir Aurore MUGISHA innove en construisant des maisons avec la brique de terre compressée

Quatre femmes ont été primées durant un concours d’idées entrepreneuriales innovantes. Organisé par FIADI (Femmes Ingénieures Actives pour le Développement Inclusif) en partenariat avec l’ambassade de France au Burundi, le concours a décerné des prix allant de 800 000 BIF à 1 500 000 BIF, aux meilleurs projets des femmes ingénieures. Mais quelles sont les idées véhiculées par ces projets ? Comment est-ce que ces femmes entrepreneurs comptent les réaliser ? Où se projettent-elles dans l’avenir ?

 

Ir Aurore MUGISHA a remporté la troisième place. A la clé, 900 000 BIF lui ont été décerné comme prix d’encouragement. Cette jeune femme ambitionne de construire des bâtiments durables en utilisant la Brique de Terre Compressée. Son but ultime est de réduire la consommation d’énergie et des émissions polluantes engendrées par l’utilisation des briques cuites. Dans cette entrevue, elle nous dévoile le plan qu’elle compte amorcer pour réaliser son projet.

 

Akeza.net : Qui est Aurore MUGISHA ?

 

Ir Aurore MUGISHA : Aurore MUGISHA est une ingénieure civile, ayant une maîtrise en Structures des Bâtiments. Je travaille dans le secteur de la construction, plus particulièrement dans l’étude et l’exécution des projets de construction de bâtiments publics et privés, tels que les écoles, les hôpitaux, les infrastructures commerciales et les maisons d’habitation.

 

Akeza.net : Quelle est l’idée derrière votre projet ? En quoi votre projet est-il innovant ?

 

Ir Aurore MUGISHA : Mon projet s’intitule “Construire en Terre avec la Brique de Terre Compressée”. C’est l’une des techniques de construction durables utilisant le matériau de construction “terre” et visant principalement à réduire la consommation d’énergie et les émissions polluantes engendrées par l’utilisation des briques cuites en construction. Mon projet vise en outre à revaloriser le bâtiment traditionnel local en encourageant la population à construire des habitats écolo et peu coûteux, bref, des infrastructures répondant à leurs besoins de base.

 

Le produit que j’utilise, la brique de terre compressée, est obtenue à partir d’un mélange de sable, de terre rouge et d’un peu de ciment nécessaire pour renforcer la solidité du produit ; le mélange obtenu est ainsi compressé à l’aide d’une presse, d’où son appellation de Brique de Terre Compressée, ou BTC.

Au Burundi, comme presque dans toute l’Afrique, quelques réalisations en brique de terre crue s’observent mais sont souvent dévalorisées ou ignorées. Cependant, tout l’intérêt se trouve là, dans la terre ! La terre, non cuite, est plus abondante, plus malléable, plus facile à manier et offre une plus grande inertie thermique que la terre cuite, le béton et les matières plastiques. Ces derniers sont certes des matériaux synonymes de progrès, mais sont devenus des symboles d’une technologie énergivore entrainant beaucoup d’émissions de gaz carbonique et nécessitant l’utilisation de matières premières importées souvent onéreuses sur le marché.

 

Notre projet se propose donc de promouvoir l’utilisation d’une ressource locale (la terre), et de procurer aux populations désireuses l’envie de renouer avec la terre, un matériau écologique, simple et naturel.

 

Akeza.net : D’où vous est venue cette idée ?

 

Ir Aurore MUGISHA : Le rapport de 2012 des Nations Unies sur les OMD au Burundi fait état d’une vitesse de déforestation de 64 km2 par an depuis l’année 2010 et souligne que si ce rythme de déperdition des forêts se maintient jusqu’en 2039, il n’y aura plus de forêts au Burundi.

 

Aujourd’hui, le secteur du bâtiment et de la construction est l’un des plus mauvaises élèves en matière de réduction d’empreinte carbone. Notre intérêt pour la construction en terre est donc provoqué par la hausse croissante du coût de l’énergie, qui se répercute sur des produits comme le béton et la brique cuite. Il est possible de réduire de 97% l’énergie nécessaire pour produire une brique de construction cuite en utilisant des blocs de terre crue de même taille.

En outre, la massification de ces procédés permettrait d’atteindre 20 à 30% d’économie d’énergie et réduirait les coûts totaux de construction comparativement aux briques cuites ou aux blocs de ciment.

 

Akeza.net : Avez-vous déjà commencé à réaliser votre projet ?

 

Ir Aurore MUGISHA : Le projet est encore dans la phase de conception et de planification. Nous comptons monter une maison modèle simple composée d’une seule pièce et dont les murs sont construits en BTC. Si le budget nous le permet, nous nous proposons d’exécuter ce projet à l’aide d’une presse manuelle qui, à priori, est la moins coûteuse sur le marché et dont les pièces composantes peuvent être fabriquées localement.

 

Le rendement de la presse manuelle, qui dépend de l’organisation du chantier, peut varier de 300 à 1200 briques par jour directement commercialisables. Avec une telle rentabilité, il est possible d’envisager l’application de la technique de terre crue dans divers cadres de production (entreprise industrielle, artisanale, groupement coopératif d’habitants-constructeurs, auto-construction en milieu rural, etc).

 

Akeza.net : Quel serait votre capital de démarrage ?

Ir Aurore MUGISHA : Avec un budget initial de cinq millions de francs bu, il est possible de louer une presse et monter une maison simple capable d’abriter 5 à 6 personnes, sans tenir compte des coûts supplémentaires d’achat du terrain à bâtir et d’aménagement intérieur et extérieur.

 

Akeza.net : Quels sont les risques et les défis qui minent la réalisation de votre projet ?

 

Ir Aurore MUGISHA : Les risques et les défis que comporte la réalisation de ce projet sont multiples et divers. La terre brute en tant que matériau de construction est plus fragile que les autres matériaux de construction conventionnels. Si cette technique de mise en œuvre n’est pas bien maîtrisée, elle peut entraîner l’instabilité et la durabilité des constructions à long terme et engendrer des conséquences néfastes sur la vie des usagers.

Une analyse complète des matériaux à utiliser s’avère donc nécessaire. Aussi il faudra beaucoup expérimenter et convaincre la population à ré-adopter de nouvelles infrastructures, différentes des usages actuels du béton.

 

Akeza.net : Le prix que vous avez gagné au concours de FIADI vous aide-t-il ? 

 

Ir Aurore MUGISHA : Le prix remporté pendant le concours de FIADI est une forme d’encouragement pour notre projet. Si nous parvenons à collecter des fonds nécessaires pour lancer le début des activités (l’approvisionnement en matières premières locales « sable, terre rouge », la détermination des aspects physiques et mécaniques des ressources utilisées à travers les essais et tests éventuels, le monitoring des structures en BTC préexistantes à Bujumbura), il faudra suivre attentivement le tableau de bord agrégeant les principaux indicateurs clés de performance pour s’assurer que l’exécution du projet reste dans les clous.

 

Akeza.net : Quels sont vos perspectives d’avenir ?  Où vous voyez-vous d’ici 5ans ?

 

Ir Aurore MUGISHA : Les qualités architecturales des constructions en terre devront être retrouvées d’ici quelques années. Les exemples ne manquent pas en Afrique du Nord, aux confins du Sahara, en Afrique Occidentale, au Moyen-Orient et en Amérique Latine.

En Europe, on constate une recrudescence des constructions en terre, le plus souvent pour des raisons d’aspiration à un habitat plus confortable. Mon souhait est d’accumuler le savoir appris sur les chantiers et proposer des recettes et des tuyaux qui serviront à tous ceux qui veulent mettre la main à la pâte.

 

Akeza.net : Pensez-vous que la femme burundaise peut facilement s’intégrer dans le monde entrepreneurial ?

Ir Aurore MUGISHA : A l’heure actuelle, la culture burundaise en particulier, a accepté que la femme puisse contribuer au développement de son pays en cernant de nouvelles opportunités et en prenant des risques. Nous avons déjà beaucoup d’exemples vivants au sein de notre société.

J’insiste plutôt sur le fait que la femme burundaise garde le sens de l’Ubuntu dans ses activités professionnelles et reste ce qu’elle est : « Une femme ».

        

Akeza.net : En dehors du boulot, qu’est-ce que vous aimez faire dans la vie ?

 

Ir Aurore MUGISHA : En dehors des heures de travail, j’aime me reposer ! (Rires…).

 

Propos recueillis par Janvier CISHAHAYO