[Elles ont fait le pas] : Rencontre avec Jacqueline NDIMURUKUNDO, instructrice physique des arbitres à la CAF et commissaire internationale des matches

[Elles ont fait le pas] : Rencontre avec Jacqueline NDIMURUKUNDO, instructrice physique  des arbitres à la CAF et commissaire internationale des matches

La nouvelle série d’articles « Elles ont fait le pas » nous fait découvrir les femmes burundaises qui sont dans le domaine de l’arbitrage de football à l’international. Encore très minoritaires dans un milieu si masculin, elles nous racontent leurs débuts, leurs motivations, leurs aspirations, leur succès, leurs défis ainsi que leurs ambitions au service d’une carrière très exigeante qui les passionne et les façonne.

Dans notre première entrevue, nous rencontrons Jacqueline NDIMURUKUNDO, instructrice physique des arbitres à la CAF et commissaire internationale des matches. Licenciée en Éducation physique et sportive à l’université du Burundi, Jacky a su s’imposer dans ce monde, au moment où peu de femmes atteignent les plus hautes divisions du foot. Elle est également directrice du Lycée municipal de Bwiza et manie très bien toutes ses responsabilités.  Née le 9/9/1978 en commune Gitega, province Gitega, Jacky nous emmène faire un tour dans ses 17 ans de carrière dans l’arbitrage où elle a à ses charges la forme des arbitres  et le respect des lois du foot. Entretien…

Si je n’avais pas été instructrice ou commissaire, je ne serai pas connue au niveau international

Akeza.net : Votre parcours dans l’arbitrage commence quand ? Qu’est-ce qui vous a poussé à embrasser cette carrière ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : J’ai commencé l’arbitrage en 2003 après une formation au cours de la même année sur l’arbitrage. A cette époque, je venais à peine d’entamer mes études universitaires à Institut d’éducation physique et sportive de l’Université du Burundi. Quand j’étais à l’université, je jouais à tous les jeux mais j’avais une préférence pour le foot. Ce qui m’a motivé alors c’est que j’aimais beaucoup l’arbitrage des matches. Je pouvais quitter le campus pour venir au stade dans les entrainements. C’est à partir de là qu’on a commencé à me donner des matches pour que je puisse m’entrainer. Par après, ils ont constaté que j’étais très intéressée et passionnée. Ce n’était pas facile. Je me rappelle qu’il y a beaucoup de garçons qui se sont lassés parce que c’était vraiment fatigant ! Mais moi j’ai pu continuer et d’ailleurs je suis la seule qui est restée dans le domaine de l’arbitrage dans ma promotion. De plus, à cette époque, j’étais la seule fille à l’Institut. Donc, si je n’avais pas été courageuse, j’aurais abandonné aussi. Je compte beaucoup de couvertures à l’international. Parmi elles, les éliminatoires de la Coupe du monde.

 

Akeza.net : Comment êtes-vous devenu instructrice physique des arbitres à la CAF et commissaire internationale de match ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : L’aventure commence en 2017. Quand j’étais encore une arbitre internationale (de 2009 à 2016), je ne voulais pas délaisser mes collègues masculins. Comme j’avais appris des notions sur l’activité sportive à l’université, j’ai pris l’initiative d’aider les arbitres à rester en forme en leur entrainant avec des exercices pour qu’ils puissent bien mener leur métier,  puisque le métier d’arbitrage est très exigeant. Je les ai aidé non seulement dans les entrainements physiques (instruction physique) mais aussi je veillais à ce que les lois du jeu soient respectées (commissaire des matches).C’est grâce à mes performances dans le domaine qu’on a demandé à la FIFA de me nommer commissaire internationale des matches à la fin de l’année 2019 afin d’apporter aussi mes connaissances dans d’autres pays. C’est de cette façon que j’ai pu avoir mes 2 fonctions.

 

Akeza.net : Quels genres d’exercices proposez-vous pendant l’instruction physique pour garder la forme des arbitres ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : Les exercices varient d’un arbitre à un autre et selon le niveau. Par exemple nos arbitres d’élites qui officient les coupes du monde ou les grands rendez-vous ne peuvent pas avoir le même régime d’entrainements que les débutants. Un entrainement inapproprié peut faire chuter le niveau. C’est pourquoi il faut mesurer. Cela étant, je leur propose des exercices d’endurance et de haute intensité qui leur permettent de tenir pendant le match, des exercices de vitesse pour la rapidité, des exercices de souplesse ainsi que des exercices de changement de direction et d’agilité. J’utilise cela dans toutes les catégories, c’est seulement l’intensité qui varie selon le niveau.

 

Akeza.net : Qu’est-ce qui vous montre qu’un arbitre est en forme ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : Ce qui montre qu’un arbitre est en forme, c’est le test physique. Nous avons des tests physiques pour toutes les catégories. Comme les entrainements sont les mêmes mais se différencient sur l’intensité (selon le niveau) c’est la même chose aussi pour les tests physiques. Le test physique que j’offre est le même au niveau international. C’est pourquoi tout arbitre qui réussit les tests physiques ici, quand il est convoqué dans les stages à l’international, il n’a pas peur puisqu’il est déjà habitué.

Aujourd’hui, je peux gagner ma vie (financièrement) grâce à ça [Rires]. Ma carrière s’élargit de plus en plus, j’en suis très fière.

 

Akeza.net : A part votre métier d’arbitrage, vous êtes aussi Directrice du Lycée Municipal de Bwiza, des fonctions qui s’accumulent, comment faites-vous pour concilier toutes ces responsabilités ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : Toute activité exige un sacrifice pour un bon déroulé. Le fait que je sois directrice d’une école ne bloque pas ma carrière dans le sport. Je peux bien concilier cela. C’est seulement une question d’organisation. Les entraînements, je les fais après mon travail. Mais le plus important dans tout ça, c’est d’aimer ce que tu fais. Si non, je peux bien quitter le travail et me dire je suis fatiguée, je vais aller me reposer et c’est fini. Ce n’est pas comme ça. J’aime bien le métier d’arbitrage. C’est pourquoi j’ai décidé d’aider les arbitres en les formant physiquement pour les maintenir à un niveau international. J’ai toujours dans mon sac des vêtements d’entrainement pour que quand je finis mon travail, je puisse aller m’entrainer. Cela me plait beaucoup car je fais ce qui me passionne.

Akeza.net : Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés dans votre métier quotidien ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : Les défis ne manquent pas. Les terrains d’entrainement sont très peu nombreux dans notre pays. Il arrive qu’on veuille entrainer les arbitres mais qu’on manque de terrains parce qu’ils sont sollicités par les équipes. Un autre défi que j’ai c’est  que même si je suis à la disposition de tous les arbitres du Burundi, je ne les atteins pas tous parce que j’habite à Bujumbura. Pour ceux de l’intérieur du pays, j’y vais parfois pour les tests physiques afin de m’enquérir de leur forme. Des fois, je peux leur envoyer des exercices mais je ne saurai pas s’ils les ont bien pratiqué ou pas.

Akeza.net : Les femmes dans le métier d’arbitres sont encore minoritaires un peu partout dans le monde, quel regard portez-vous sur ça ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : C’est vrai. Elles sont très minoritaires. Je me rappelle qu’en 2011, j’étais la seule arbitre internationale femme dans tout le pays. Après avoir constaté cela, j’ai pris l’initiative de passer dans différentes écoles afin de sensibiliser les filles à venir dans l’arbitrage. Elles ont répondu à l’appel massivement mais avec le temps, la situation est redevenue à la case départ. Sur ce point-là, je  peux dire que les filles ne font pas des efforts parce que ce métier exige du courage et de la persévérance. Je lance un appel aux filles d’embrasser ce métier parce que non seulement cela te permet de maintenir ta santé mais également tu peux bien t’autonomiser financièrement [Rires].

Akeza.net : Souvent les femmes arbitres subissent le sexisme, ça vous est déjà arrivé? Comment collaborez-vous avec vos collègues masculins?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : Non cela ne m’est jamais arrivé. Travailler dans un environnement masculin ne me sépare pas de la gent féminine ou n’a jamais rien changé en moi. J’essaie de me rapprocher d’eux pour qu’on puisse bien collaborer et on se respecte. Mon objectif est de les voir franchir d’autres étapes dans leur carrière.

Akeza.net : Etre instructrice physique des arbitres et commissaire international de matches, quel impact  cela a-t-il produit dans votre carrière, dans votre vie ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : Il y a vraiment de la plus-value. Dans la carrière, je continue à  bien progresser. Pour le moment, on me convoque souvent à l’international pour aider et apporter mon savoir. Si je n’avais pas été instructrice ou commissaire, je ne serai pas connue au niveau international. Cela montre que je suis capable de faire quelque chose. Aujourd’hui, je peux gagner ma vie (financièrement) grâce à ça [Rires]. Ma carrière s’élargit de plus en plus, j’en suis très fière.

Akeza.net : Quelles sont les perspectives d’avenir dans votre carrière ?

Jacqueline NDIMURUKUNDO : Dans l’avenir, j’aimerais progresser et viser loin. C’est vrai que j’ai déjà fait un pas considérable mais ce n’est pas encore suffisant. J’aimerais faire partie des preneurs de décision au niveau des hautes strates du football à la FIFA ou à la CAF. Et c’est possible!

Fleurette HABONIMANA