Burundi : neuf ans après l’intégration dans l’EAC , quel bilan ?

Burundi : neuf ans après l’intégration dans l’EAC , quel bilan ?

René NSABIMANA, Chercheur chargé de l’Intégration Economique, des Politiques Commerciales et du Secteur Privé à l’Institut  de développement économique( IDEC), revient sur  le bilan de l’intégration régionale du Burundi dans la Communauté Est-Africaine dans un entretien qu’il nous a accordé. Neuf ans après, il essaie de dresser un bilan global.

 

Akeza.net: Au départ avec l’intégration régionale dans  l’EAC, quel était l’objectif visé par le Burundi ?

 

René : Au départ, l’intégration dans la communauté est-africaine pour le Burundi ,tout comme pour les autres pays membres, visait trois objectifs fondamentaux : l’accélération de la croissance économique (revenu par habitant, production etc), le développement économique (amélioration du bien-être en matière de santé, éducation, espérance de vie, réduction de la mortalité, etc.) et l’accroissement de l’industrie qui va de pair avec l’urbanisation de la région.

Techniquement, c’est-à-dire que les pays membres convergent vers un même PIB(Produits Intérieurs Bruts),les pays pauvres tendent à accroître leurs PIB tandis que les pays riches voient leurs PIB  non pas diminuer mais croître car le marché s’étend de facto. L’intégration régionale permet l’accroissement du commerce intra-communautaire, c’est-à- dire qu’avec l’intégration régionale, il y a des mesures liées notamment au libre échange,  aux unions douanières, le marché commun  et une union économique monétaire , ce sur quoi on n’est pas encore arrivé.

L’intégration régionale permet d’attirer également les investissements directs étrangers. Avec le marché commun, le Burundi y a tiré toute une série de libertés notamment la libre circulation des biens et des capitaux : on peut aller s’établir n’importe où dans la communauté. L’objectif principal au niveau de toute la communauté est donc de développer une politique de collaboration mutuelle entre les pays membres dans tous les domaines.

 

Akeza.net : A l’annonce de l’intégration du Burundi dans l’EAC, les citoyens s’attendaient à l’amélioration de leurs conditions de vie notamment la diminution des prix sur le marché. Rien n’est venu de ce côté. Pourquoi ?

 

René : on peut ne pas sentir la diminution de prix mais on peut remarquer l’augmentation de produits sur le marché même si le prix reste élevé. On peut se convenir qu’avec l’union douanière, les produits de la communauté ont envahi le Burundi. On n’a pas eu un problème de consommation. Il faut que le produit soit d’abord disponible. Je pense qu’au niveau des prix il y a eu une certaine amélioration même si je n’ai pas bien comparé les prix de telle période à une autre dans mon étude; mais ce qui est sûr  la disponibilité de produits est un grand avantage. Nous avons accru les importations au niveau  de l’EAC même si le taux de croissance des exportations est resté très faible. C’est un défi qui reste  toujours à relever. En 2009, on avait des exportations qui étaient évaluées à 27 millions de dollars et en 2014, les exportations s’évaluaient à 25 millions. Si on compare avec les importations, ces dernières sont passé de 93 millions de dollars en 2009 à 177 millions de dollars en 2014. Cela pour dire que le Burundi ne produit pas assez et que l’agriculture qui est la principale activité économique n’est pas rentabilisée au Burundi.

 

Akeza.net : A côté de l’union douanière, il y a aussi le marché commun. Est-ce que le Burundi en a tiré profit ?

 

René: Avec le protocole du marché commun au niveau de l’EAC, on s’est convenu sur la liberté de circulation des personnes, la liberté de circulation des biens, la liberté de circulation des capitaux et de services. Ainsi,  chaque pays membre a le droit d’implanter par exemple son entreprise dans l’un des pays membres pourvu qu’il y trouve l’intérêt mais le Burundi n’en a pas profité tel que les chiffres officiels le montrent. C’est pourquoi vous voyez que les prix ont monté spécialement ces derniers jours.

 

Le graphique suivant montre que les exportations du Burundi vers les pays de la CAE représentent moins d’1/5ème des importations.

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Akeza.net :Il y a le protectionnisme du marché qui s’observe ces derniers jours. Est-ce une solution  économiquement rentable?

 

René: Selon l’expérience, tous les pays qui ont appliqué le protectionnisme ne se sont jamais développés car pour le pratiquer il faut que le pays soit auto-suffisant et que vous puissiez consommer ce que vous avez produit mais aussi exporter. Sinon c’est le bien-être de la population qui est mis en danger.

 

Akeza.net : A voir la position économique des autres pays membres ,est-ce que le Burundi ne risque pas d’être’’ colonisé‘’ économiquement par le reste des pays de l’EAC ?

 

René : C’est l’un des défis à relever. Mais au lieu de nous apitoyer sur son sort, je  pense que le Burundi devrait plutôt profiter de l’expérience de ces autres pays pour développer l’agribusiness, pour exploiter ce qui n’est pas encore exploité afin de pouvoir exporter davantage. On devrait aussi profiter pour voir la manière de croître la production mais aussi pour voir comment concurrencer les autres pays.

Comparaison des économies des pays membres  2014

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Akeza.net : Votre étude montre que la plupart des importations du Burundi se font en dehors de l’EAC. Il en est de même pour les exportations. N’est-ce pas un échec de l’intégration ?

 

René : C’est-à-dire que le Burundi est resté sur ses vieilles habitudes d’exportation. Le café, les minerais, les cuirs, le coton…et ces derniers sont consommés par l’occident. Le Burundi a gardé les mêmes partenaires malgré l’intégration. Si l’industrie et l’agriculture étaient développées au Burundi, on profiterait du marché est-africain mais vous voyez que la plupart des produits agro-alimentaires comme  le maïs , haricots…que nous consommons, la majorité provient de la communauté. Nous avons un potentiel important nous aussi de pouvoir conquérir le marché dans ce sens. Les décideurs devraient dégager des stratégies dans ce sens dans un premier temps.

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Akeza.net :Qu’est-ce qui explique cette incapacité pour le Burundi de s’adapter au sein de la communauté East Africaine ?

 

René: Souvent le Burundi a signé des traités mais il n’y a pas de suite réservée à ces traités. Normalement quand on signe un traité on doit chercher des mesures d’accompagnement pour capitaliser ces accords. Vous voyez par exemple nous depuis l’Indépendance nous exportons toujours les mêmes produits. En intégrant l’EAC  le Burundi n’a pas songé à des mesures d’accompagnement pour concurrencer le reste de la communauté. Il fallait anticiper la demande dans l’EAC et créer l’offre dans ce sens. Qui a besoin du café burundais dans l’EAC ? Par contre l’huile, le poisson et beaucoup d’autres produits auraient pu aider le Burundi à équilibrer les exportations et importations dans la communauté voire même plus. Il fallait aussi encourager des investissements directs étrangers en créant un bon climat d’affaire.

 

Le  PIB du Burundi  par tête évolue en sens inverse des autres pays

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Akeza.net : Pour finir, 9 ans après, comment qualifiez-vous le bilan de l’intégration ? Positif ou négatif ?

 

René :D’une part le Burundi a profité de l’importation des produits de la communauté ce qui a fait qu’on n’a pas eu un grand problème de consommation. La disponibilité des produits est un avantage non négligeable. Mais d’autre part le Burundi a perdu au niveau des exportations car il n’a pas su diversifier ses produits d’exportation pour concourir sur le marché Est-africain. Donc le Burundi n’a pas pu augmenter ses produits d’exportation. Bref, Au niveau de la production le bilan est négatif mais dans d’autres domaines surtout au niveau de  la circulation des biens et des personnes le Burundi en a largement  profité.

 

Akeza.net : Nous te remercions

 

René :Merci à vous !

 

Propos recueillis par Alexandre NDAYISHIMIYE & Elvis NDAYIKEZA